Start-up fondée en 2023 par deux ingénieurs de formation, Ehotil transforme l’urine, une ressource aujourd’hui considérée comme un déchet, en un engrais naturel aux multiples bénéfices : réduction de la pollution, diminution de la consommation d’eau potable, meilleure autonomie alimentaire…
Deux ingénieurs et deux parcours complémentaires

Emmanuel Morin, ingénieur dont la carrière débute dans les grandes multinationales, a longtemps évolué à des postes dédiés à l’optimisation des lignes de production et la création de nouveaux produits. En 2009, en quête d’alignement avec ses valeurs, il fonde Écodomeo, une entreprise qui conçoit et commercialise des toilettes écologiques sans eau, alliant haut de gamme et respect de l’environnement. Ces toilettes à séparation permettent de réduire la consommation d’eau potable et valoriser les éléments solides par compostage. Il ne trouve pas en revanche de solutions de valorisation pour les urines. Cette idée reste dans sa tête quelques temps, jusqu’à sa rencontre avec Stéphane de Lacroix de Lavalette.
De son côté, Stéphane, ingénieur agronome, a travaillé pendant six ans à la Compagnie Fruitière, notamment en Afrique. Cette expérience l’a amené à réfléchir à l’impact de ses actions et à envisager comment il pourrait contribuer à une agriculture plus respectueuse, mais à l’échelle locale.
Membres du même groupe de musique, ils échangent un jour de répétition et réalisent rapidement que les composants des urines sont les mêmes que ceux des engrais agricoles (notamment l’azote et le phosphore). C’est le début de leur collaboration sur un projet au service de l’agriculture de demain.

Transformer l’urine humaine en engrais biologique

Lancé en 2023, Ehotil porte une ambition simple : transformer l’urine humaine, aujourd’hui considérée comme un déchet, en un engrais agricole de haute qualité. Lauréat du dispositif Aix-Marseille-Provence Amorçage / AMPA (géré par Pays d’Aix Développement) et soutenu par le prêt d’honneur CAAP INNOV’ECO, le projet, reconnu DeepTech auprès de BPI, obtient également la bourse FrenchTech Émergence.
Début avril 2025, le projet obtient une subvention PIA4 (Programme d’Investissements d’Avenir), portée à la fois par la Région Sud et France 2030, qui vient confirmer l’intérêt pour ce projet.
Pour les accompagner, ils ont renforcé leur équipe avec le recrutement d’une ingénieure en thèse CIFRE avec le laboratoire M2P2 d’Aix-Marseille Université. Après avoir travaillé sur la faisabilité en 2024, elle a désormais pour mission de reproduire, à l’échelle industrielle, le processus de transformation des nutriments de l’urine en matière assimilable par les plantes. Le procédé repose sur trois étapes : filtration des molécules indésirables, stabilisation des éléments volatils (comme l’ammoniac), puis concentration, afin d’obtenir un engrais performant, inodore et transportable. Si la production reste pour l’instant en petite quantité, les premiers tests agricoles sont très encourageants : les résultats dépassent ceux des engrais conventionnels.
Un contexte favorable
L’idée de ce projet, devenu entreprise, est née dans un contexte particulier, qu’il est intéressant de rappeler.
Juste après la pandémie de Covid-19, alors que la guerre en Ukraine débute, les prix des engrais sont multipliés par quatre. Pourquoi ? Parce qu’une majorité des lignes de production européennes sont à l’arrêt, privées de gaz russe. Cela renforce l’idée qu’être capable de produire localement, particulièrement pour un domaine aussi essentiel que l’agriculture et l’alimentation, est primordial.
Cette idée de résilience, Stéphane la retrouve dans un livre écrit par l’association Les Greniers d’Abondance. Ce livre, intitulé Vers la résilience alimentaire, présente de nombreuses solutions pour regagner en autonomie, notamment par la valorisation de matières organiques en provenance des villes, par exemple les urines. Mais ce sont des solutions qui n’existent pas forcément sur le marché.
Cette prise de conscience sur la maîtrise de l’agriculture n’est pas la seule. Dans nos logements, moins de 10%* de l’eau potable est utilisé pour s’alimenter ou s’hydrater. Alors qu’on manque de plus en plus de cette ressource, son utilisation pour des actions telles que la vaisselle, la douche, les toilettes, l’arrosage… pose question.
Les collectivités s’emparent désormais de ces sujets et les entreprises aussi.

Plusieurs problèmes, une solution
Avec la valorisation des urines pour en faire des engrais naturels, on peut faire d’une pierre deux coups, et peut-être même plus.
La solution d’Ehotil permet de réduire le besoin d’importation d’engrais en provenance d’Europe (ou d’ailleurs) et par la même occasion de réduire la dépendance à des ressources telles que le gaz (la production d’engrais en est une grande consommatrice).
En plus de faire des économies d’eau potable, en supprimant son utilisation pour la chasse d’eau (20 %* de l’eau potable consommée dans les ménages), elle permet aussi de faciliter le traitement des eaux usées et limiter la pollution engendrée. Les systèmes d’assainissement sont de plus en plus sollicités et les stations d’épuration doivent être agrandies pour continuer de traiter le flux grandissant. Aujourd’hui, les urines ne représentent que 1 à 2 %* du volume entrant dans une station d’épuration… mais représentent 80% de l’azote et 50 %* du phosphore présents dans les eaux usées. Des éléments chimiques qui polluent les milieux aquatiques dans lesquels les eaux, pas suffisamment traitées, sont reversées. Résultat : un coût de traitement toujours plus important et un impact environnemental direct, avec notamment l’eutrophisation des milieux aquatiques.
L’objectif d’Ehotil c’est aussi de proposer à l’agriculture biologique, en manque de solutions en matière d’engrais, une alternative possible aux engrais conventionnels. La start-up collabore avec la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique) sur son projet MONA (Matières Organiques Non Agricoles), pour que l’Europe élargisse la liste des intrants autorisés en agriculture biologique.

Collecter en local
L’un des enjeux majeurs pour Ehotil, c’est la collecte de la matière première. Leur procédé retire l’eau des urines, ce qui représente entre 90% et 95% du volume initial. En étant capables de produire entre 5 et 10 cl d’engrais avec 1 litre d’urine, il leur faut collecter 1 000 m³ d’urine par an pour être viable économiquement. Un nombre impressionnant, mais qui représente la production de seulement 2 000* personnes sur une année. A l’échelle d’une ville comme Marseille, on peut facilement l’envisager, si les outils adaptés sont mis en place : les urines doivent être collectées pures, sans eau, sans papier.
Parmi les points de collecte envisagés, les lieux à fort passage comme les centres commerciaux, les gares, les aires d’autoroute, les stades, les écoles, les bureaux. Là où, avec peu de points de collecte, on peut récolter beaucoup. En attendant, les deux fondateurs s’appuient aussi sur le réseau d’Emmanuel, via son autre entreprise, et notamment les loueurs de toilettes sèches lors de festivals ou d’événements. Le premier point de collecte est stratégique : il permettra de montrer concrètement aux partenaires ce que ça implique pour eux et comment ça peut s’inscrire dans une démarche RSE.
Et pourquoi pas collecter demain à Marsatac, au Delta Festival ou à Aix TGV ?

Des perspectives pour l’avenir
L’activité actuelle de l’entreprise devient trop dense pour n’être portée que par les deux fondateurs. Déjà rejoints par une ingénieure thésarde, ils devraient renforcer l’équipe avec de nouveaux profils, à court et moyen terme, dans la gestion de projet et l’opérationnel.
Ils vont prochainement s’installer dans de nouveaux locaux, permettant d’accueillir une unité de production pour transformer les premiers volumes à l’automne 2025 et réaliser les essais agricoles dans la foulée. En 2026, l’objectif est de produire plus de volumes pour faire des tests à plus grande échelle.
Ce que souhaitent les associés d’Ehotil, c’est de continuer à produire, collecter et vendre localement. À l’horizon 2029-2030, Ehotil ambitionne de dupliquer ce modèle de micro-usine dans d’autres régions de France, voire à l’international, toujours en gardant cette logique d’ancrage local, au plus près des territoires et des enjeux de résilience.
Photos Portraits ©Daniel Kapikian
Entretien avec Emmanuel Morin et Stéphane de Lacroix de Lavalette, co-fondateurs d’Ehotil
*SOURCES :
- https://agirpourlatransition.ademe.fr/particuliers/eau-ressource-a-preserver
- https://www.susana.org/knowledge-hub/resources?id=1314&pgrid=1
- https://www.urofrance.org/fileadmin/medias/semaine-continence/2008/kit-pedagogique-education-miction.pdf
- https://www.cieau.com/le-metier-de-leau/ressource-en-eau-eau-potable-eaux-usees/quels-sont-les-usages-domestiques-de-leau/
MD