A peine « Centraliens », Jérôme Mouterde et Laetitia Brottier ont lancé en binôme une idée : concevoir un panneau solaire hybride pour produire de l’énergie, du chauffage et de l’eau chaude. Dualsun emploie aujourd’hui plus de 70 collaborateurs en Provence.
Quand il dit « oui » à l’attribution de l’aide remboursable d’Aix-Marseille-Provence Amorçage (AMPA), anciennement Dispositif d’Amorçage Provençal (DAP), le jury espère toujours voir les porteurs de projet se muer en créateurs d’entreprise, puis en dirigeants de PME, voire de se propulser encore plus loin et plus haut… Cette marque de confiance qui leur a été accordée en 2010, Jérôme Mouterde et Laetitia Brottier se sont évertués à démontrer combien ils la méritaient.
Ces deux diplômés de Centrale Paris étaient pourtant tout jeunes quand il leur a fallu convaincre de l’intérêt de concevoir un panneau solaire à triple fonction : produire de l’électricité grâce à ses cellules photovoltaïques mais aussi du chauffage et de l’eau chaude pour la maison. Malgré l’appui d’un laboratoire du CNRS, ils avaient tout à prouver. Dualsun naît en 2010. Ils puisent dans le fonds d’amorçage ses premières ressources. « Nous devions traverser une phase assez capitalistique de prototypage et de production de petites séries préalables à l’industrialisation de notre solution. Le dispositif nous a permis de décoller, explique Jérôme Mouterde. C’était d’autant plus précieux que nous sortions de notre école d’ingénieurs. La réponse positive du jury a conditionné toutes les autres aides qui ont suivi. Nous sommes reconnaissants à l’écosystème d’accompagnement d’avoir cru en nos convictions. Sans tous les supports reçus, Dualsun n’en serait pas là où elle en est aujourd’hui ». Entre 2012 et 2020, la société, implantée à Marseille, a levé 13 millions d’euros publics et privés pour construire un leader européen du solaire, sans perdre la main sur la direction que ses cofondateurs entendaient lui donner. Sur sa base provençale où elle étoffe ses gammes, toujours grâce à l’innovation (elle détient 10 brevets industriels), elle emploie 75 collaborateurs auxquels s’ajoute une quinzaine de personnes de son usine de fabrication acquise à Jujurieux (Ain) et labellisée « Vitrine Industrie du Futur » par le ministère de l’Industrie en 2021. Son chiffre d’affaires a explosé : + 1 032% depuis 2020 pour atteindre les 60 millions d’euros en 2023 ! A fin 2024, 1,252 million de ses panneaux étaient installés dans le monde !
Innover pour résister
Le parcours d’un entrepreneur se bâtit sur ces coups de pouce qui débloquent un verrou ou aident à accélérer le rythme de marche. Quand, en Provence, Dualsun décroche une petite commande pour équiper le Puits Morandat à Gardanne en pleine reconfiguration ou que le bailleur social Sogima adoube sa solution sur un immeuble à Marseille, ses deux associés se disent qu’ils ont emprunté le bon chemin. Ils s’en convainquent lorsque Bouygues Construction les sollicite pour fournir 300 m2 de panneaux (180 au total) à son siège social à Guyancourt, en 2014. « Une telle référence est un élément fondateur pour notre innovation » confie Jérôme Mouterde. Aujourd’hui, Dualsun dispose d’une gamme reposant sur trois piliers : SPRING4, dernière génération de son panneau hybride originel couplé à une pompe à chaleur eau/eau et fabriqué à 70% sur le territoire national, FLASH qui promet du photovoltaïque à haut rendement et bas carbone et PREASY, lancé en 2024, un panneau posé au sol, pliable et prêt à brancher. Les uns et les autres garantissent une production d’énergie très supérieure à des modules photovoltaïques classiques pour une empreinte carbone diminuée. Le label Top Brand PV reconnaît Dualsun comme une des meilleures marques du marché. « Notre R&D est à Marseille, nous n’arrêtons pas d’y investir… Nous sommes face à une concurrence chinoise très dure sur un marché plus mûr où la demande diminue depuis quelques mois, innover reste indispensable pour continuer à nous distinguer et grandir ». Juste avant le forum des énergies renouvelables Energaïa à Montpellier en décembre 2024, Dualsun a annoncé le rachat de Meteoptim et de sa technologie d’intelligence artificielle qui optimise la gestion des ballons solaires à partir des prévisions météo et des habitudes de consommation. Son objectif est de commercialiser au 1er semestre 2025 un « ballon solaire intelligent », 1er objet connecté de sa gamme pour réduire encore de 30% la consommation électrique d’un chauffe-eau solaire. Il fonctionnera en synergie avec son panneau SPRING.
Former pour voir loin
Pour conforter tous ses développements, Dualsun a investi aussi dans la création de Dualsun Académie afin de former les installateurs, relais incontournable vers sa clientèle, et de les agréer pour leur savoir-faire. Quand on affiche une garantie pour ses panneaux, mieux vaut veiller à ce que ses produits soient bien posés. « Il nous importait de maintenir un lien de proximité avec eux » indique le dirigeant. Après avoir inauguré un site à Marseille en 2023, Dualsun en a ouvert en septembre 2024 un deuxième à Rilleux-la-Pape, près de Lyon. « Entreprise à mission », la PME s’efforce parallèlement de soutenir les filières de formation sur un secteur de l’énergie solaire où 57 000 offres d’emploi étaient encore disponibles en septembre 2024. L’avenir se dessine encore dans l’optimisme pour Jérôme Mouterde et Laetitia Brottier, toujours à la barre 14 ans après la naissance de leur société. « Nous avons su ensemble faire progresser Dualsun pour l’inscrire dans une vision à long terme. Notre envie de la développer est toujours là » estime-t-il.

Son regard d'entrepreneur en 3 conseils
Soigner son organisation
Le manque d’expérience au début peut amener à commettre des erreurs dans ses recrutements ou la structuration de son équipe. On progresse tout le temps, mais on peut toujours progresser sur la compréhension de l’évolution du monde du travail car lorsqu’on doit convaincre 75 personnes de s’embarquer dans son projet, né à deux, c’est toute une culture d’entreprise à construire et faire partager et une organisation à adapter. C’est sans doute le plus dur dans l’aventure.
Respecter les complémentarités entre associés
Au départ, nous avions, Laetitia et moi, identifié notre vraie complémentarité de profils, mais il était difficile d’appréhender comment la mettre en œuvre au service de la société. Aujourd’hui, tout ce dans quoi elle excelle, l’action publique, le lobbying pour l’énergie solaire, je ne le fais pas et vice-versa, étant personnellement plus centré sur les relations privées, les investisseurs, les clients… Je suis le directeur général parce que j’assume la partie la plus opérationnelle.
S’acharner à 200%
Créer son entreprise réclame un travail de tous les instants et énormément d’investissement. Il faut rester bien ancré dans la réalité, garder un œil constamment sur sa trésorerie et, dans les moments financièrement plus délicats, prendre immédiatement les décisions qui s’imposent, même quand elles sont dures, pour se donner la chance de les franchir. Je trouve qu’il est pertinent de proposer aux créateurs d’entreprises sur le territoire, une fois les phases de prototypage passées, des dispositifs d’accompagnement qui adossent les fonds publics à des fonds privés. Cette exigence force le créateur à aller chercher des clients, à faire ses preuves sur son marché, à lever de l’argent… au lieu d’être un chasseur de primes. Ce rapport 1 pour 1 qu’on nous a toujours recommandé me semble sain.
Photo ©Dualsun
Entretien avec Jérôme Mouterde, président de Dualsun, rédigé par Jean-Christophe Barla