L’innovation conçue par HSL Technologies (ex-Hysilabs) débouche sur le lancement en 2025 d’une première unité pilote sur la métropole avant industrialisation à grande échelle. L’AMPA a financé ses premiers pas et accéléré l’élargissement du réseau de l’entreprise.

Quand HySiLabs est sélectionnée en 2014 pour bénéficier du fonds d’amorçage (AMPA), elle affiche un concept autant que des convictions, tant son marché semble embryonnaire et lointain. Pierre-Emmanuel Casanova et Vincent Lôme confient à leurs interlocuteurs que l’hydrogène sera l’énergie du futur et qu’en facilitant son mode de stockage et de transport, leur innovation lèvera le principal obstacle à son développement.
A l’époque, selon l’organisation professionnelle AFHYPAC, 96% de la production d’hydrogène provenaient d’hydrocarbures (gaz naturel, liquides ou charbon) pour seulement 4% d’une électrolyse. Quant à sa consommation industrielle, elle n’atteignait qu’1% en tant que vecteur énergétique (propulsion de fusées ou satellites) contre 44% comme matière première dans le raffinage du pétrole ou 38% dans les engrais. Déterminés, ils créent l’entreprise en 2015. Ils savent qu’il ne leur faut aller ni plus vite que leur marché, ni trop lentement au risque de se faire déborder par un concurrent… Aujourd’hui rebaptisée HSL Technologies, la société a multiplié les dépôts de brevets, emploie plus de 30 salariés et a levé, pour accélérer sa marche vers l’industrialisation de son procédé, 15 millions d’euros l’été 2023, avec des partenaires de référence en France et à l’international (Equinor, EDP, Exolum, Vopak…) et le soutien de Région Sud Investissement et CAAP Création.
Changer de dimension par étapes
Née d’une découverte de chercheurs d’Aix-Marseille Université, sa solution permet, à partir d’une molécule baptisée Hydrosil et constituée d’hydrure de silicium (SiH), de faciliter la livraison d’hydrogène. Au lieu d’avoir à le comprimer, il est possible de le stocker dans des cuves et de le transporter, simplement et en sécurité, dans des camions-citernes ou des pipelines à pression et température ambiantes. L’Hydrosil est « chargé » en hydrogène le temps de son stockage et de son transport puis déchargé, grâce à de l’eau, pour être récupéré et utilisé, sans apport d’énergie supplémentaire. « Le dispositif d’amorçage nous a permis de mettre au point le premier mini-démonstrateur pour illustrer notre ambition avec notre vecteur liquide énergétique, explique Pierre-Emmanuel Casanova. Une technologie industrielle exige de franchir plusieurs étapes pour monter en échelle. L’AMPA a financé notre 1ère étape-clé et nous a aidés à devenir crédibles auprès d’investisseurs et de potentiels clients ». HSL Technologies doit maintenant prouver qu’elle peut produire plusieurs tonnes d’Hydrosil dans des conditions économiques viables et attractives. « Dans notre secteur, le moindre centime gagné sur l’efficacité énergétique est essentiel pour l’essor de notre technologie. Nous ne faisions pas face à cette exigence au début puisque nous devions simplement prouver que notre solution fonctionnait ».
Un plan d’action bien lisible
Les premières perspectives de l’hydrogène se concentrant sur la mobilité et l’industrie, HSL se doit d’être prête lorsque les besoins de stockage et transport seront massifs. « Nous envisageons un usage industriel de l’hydrogène d’ici cinq ans. Nous sommes pour l’instant bien alignés avec le marché qui s’annonce ». Grâce à la réhabilitation d’un espace inutilisé, un pilote industriel doit se réaliser en 2025 sur le territoire métropolitain pour éprouver la validité de sa solution pour le stockage et le relargage d’hydrogène. L’usine, à taille humaine, servira à montrer la capacité de traitement d’importants volumes. En 2026, la société engagera un nouveau volet d’investissement, avec la volonté d’intégrer des entreprises françaises dans le tour de table. HSL comptera à cette échéance une cinquantaine d’emplois. Elle planche déjà sur des synergies avec des industriels du bassin pour les approvisionner partiellement en énergie et contribuer à la décarbonation de la zone. Le transport par pipeline fait l’objet d’études complémentaires afin de privilégier l’utilisation des réseaux existants. HSL est aussi impliquée dans le projet QualifHy aux côtés d’acteurs régionaux (Enogia, Alstom Hydrogène, ENSAM, LIPSEN…). En septembre dernier, il a prouvé la compatibilité en septembre dernier entre l’HydroSil et des piles à combustible. A partir de 2028, elle veut déployer des usines de charge en France et en Europe, autant que possible à proximité de sources de production d’énergies renouvelables. Sa croissance est déjà pensée pour préserver sa culture et ses valeurs jusqu’au cap des 100 salariés. « J’ai appris à laisser de la liberté à mes collaborateurs et je me suis aperçu qu’eux aussi voient mon « bébé » depuis dix ans comme le leur. Ils ont envie de l’aider à grandir autant que moi ! » se réjouit Pierre-Emmanuel Casanova.

Son regard d'entrepreneur en 3 conseils
Savoir prendre de la hauteur
Je me suis aperçu, avec le recul, que si j’avais pu être un bon créateur d’entreprise, j’avais du chemin à parcourir pour me former et me transformer en grand manager, gérer une société, une équipe de 40 personnes, échanger avec mes équipes, motiver… Bref, passer de mon ego d’entrepreneur à un ego au service d’un projet et d’un collectif. J’ai réfléchi à ma réelle valeur ajoutée pour l’entreprise. Puis, j’ai recruté une directrice expérimentée en 2022 pour lui laisser la gestion de certains sujets administratifs et opérationnels du quotidien. Il faut accepter de perdre la main dans des fonctions sur lesquelles on se sent moins efficace pour pouvoir se mobiliser à fond là où l’on est meilleur. J’ai pu ainsi continuer à penser la stratégie de la boîte pour demain et prendre des décisions plus précises et plus cohérentes ».
Expliquer sans tabou
Ingénieur en biotechnologies et non en énergie, j’ai pu poser un regard extérieur, critique, sur la technologie du laboratoire, quand j’en ai perçu le potentiel et voulu l’amener jusqu’au marché. J’ai exposé chaque fois mon idée sans laisser entendre que je détenais une solution révolutionnaire qui allait disrupter un marché de l’hydrogène à plusieurs milliards de dollars et que j’allais rapidement devenir un acteur mondial. J’ai été transparent en détaillant les étapes à passer, les interlocuteurs à convaincre, les risques que le projet pourrait affronter, en disant qu’il me serait impossible de parvenir seul en haut du mur face auquel j’étais. En posant les petites étapes à franchir et en les atteignant au fur et à mesure, la confiance s’est construite dans la durée ».
Aller au charbon
Dans un projet industriel, le montant de l’amorçage apparaît toujours très inférieur au besoin financier nécessaire à son développement. Le rôle de l’entrepreneur est d’aller au charbon pour engendrer un effet boule de neige dès qu’il rencontre les premiers investisseurs. Parce qu’il repose sur un jury d’experts reconnus et très sélectifs, le dispositif permet d’accéder à un écosystème d’interlocuteurs pour engranger des financements plus importants ensuite, sous réserve de prendre le temps de bien cerner qui fait quoi et en quoi chaque apport peut être utile. La valeur ajoutée de l’AMPA réside dans ces portes qui s’ouvrent vers un accompagnement plus global pour construire un business plan cohérent. La formule de l’avance remboursable atteste de l’implication totale du créateur dans son projet. L’engagement à rembourser instaure une confiance qui rassure les partenaires tout en laissant une flexibilité de choix ».
Photo ©Renaud Alouche – HSL
Entretien avec Pierre-Emmanuel Casanova, président de HSL Technologies, rédigé par Jean-Christophe Barla